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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:10

      Au petit matin du douze novembre, le tricycle qui me conduit à la gare passe le grand pont de fer. Je pense au Gange qui coule et qui coulera encore longtemps sans moi emportant dans ses eaux cendres funéraires et fleurs d'offrande. M'éloignant de la ville aux deux mille temples, je réalise que je n'aurai été qu'un spectateur anonyme de la foi de milliers d'hommes et de femmes mettant tout leurs espoirs au service d'un dieu.

 

 

      Le voyage pour New Delhi est long. Le train n'arrivera dans la capitale de l'Hariana que dans vingt-quatre heures. Comme à l'aller, les compartiments sont bondés. Je profite de la fenêtre du couloir pour graver au plus profond de ma mémoire les images merveilleuses de cette campagne indienne qui défile derrière la vitre.

 

 

      Les faubourgs du Vieux Delhi apparaissent dans la matinée du lendemain. Notre convoi s'arrêtera bientôt sous le hall de la gare centrale. A peine entré à quai, des dizaines de voyageurs sautent des marches pieds et traversent les voies. C'est le terminus, tout le monde descend de voiture. Dehors, c'est la ruée vers les rickshaws.            En attendant que la foule se dissipe un peu, je me renseigne sur l'heure d'un départ pour Ferozepore. Le prochain train part demain matin, ce qui me laisse tout l'après-midi de libre. Je vais utiliser ce temps pour faire quelques achats dans le quartier de la gare. Depuis longtemps, j'avais envie d'acheter un grand carré de soie qui sert de sari aux femmes indiennes. C'est dans une échoppe spécialisée que je trouve deux beaux exemplaires à motifs bruns sur fond ocre. Sur les trottoirs, à proximité du Chowk, de petits marchands vendent à même le sol des images pieuses. Elles représentent des scènes de Vishnu, de Shiva et de Brahmâ. J'en choisis cinq ou six que j'affectionne particulièrement. Roulées, elles sont placées dans mon sac à dos. J'espère qu'elles tiendront le coup jusqu'à mon arrivée.

                                           

 

 

        Pour ma dernière nuit en Inde, je décide de dormir dehors et choisis le grand parc de la gare. Ses pelouses seront plus douces qu'un carré de trottoir poussiéreux.

         Assis sur l'herbe, de petits groupes discutent et malgré l'heure tardive les allées sont encore animées. Je m'enfonce au milieu du parc pour trouver un endroit plus calme. Sur un espace libre, j'étends ma toile de fond et m'enroule dans ma petite couverture. Le sommeil est difficile à trouver, il y a encore trop de mouvements. Soudain, au moment de sombrer, je sens la lanière d'une cravache me toucher le dos et une voix me parler en anglais. Je me retourne en me redressant. Une torche m'éblouit les yeux. Ce sont deux gardes civiles de la police qui m'ordonnent de quitter les lieux. Il est interdit de dormir dans le parc. Ce n'est pas de chance et je me souviens de la même aventure à Meched. Je dois plier bagages. La nuit est bien entamée, je me réfugie dans le hall de gare où les places sont chères. J'arrive tant bien que mal à me trouver un coin et j'attends patiemment le petit matin tout en somnolant. Mon train arrivera à Ferozepore qu'en milieu d'après-midi, j'essaierai de récupérer pendant le voyage.

      Les quatre cents kilomètres se sont bien passés. J'ai eu la chance d'avoir une place sur une banquette en bois. Depuis deux jours, j'ai abandonné les sandales de sadhu pour reprendre mes bonnes vieilles Clarks. Mes gros orteils sont mal en point, le frottement de la cheville de bois contre mes pouces a endommagé sérieusement mes chairs et je crains une infection. Je dois les soigner. Lors de mon premier passage, j'ai repéré un hôpital à l'entrée de Ferozepore. Pas très éloigné de la gare, je m'y rends à pied. C'est un immense bâtiment blanc. Une des entrées indique l'infirmerie. J'entre et passe la tête par une porte entrouverte. Un interne de service m'aperçoit et me demande ce qu'il peut faire pour moi. Je lui montre mes blessures. Une auscultation minutieuse est effectuée, des ordres sont donnés et un aide rapporte de la pièce voisine une potion à base de plantes. La consultation et les soins sont gratuits, c'est parfait ! Je repars confiant et rejoins les taxis tricycles qui attendent le client à l'ombre des arbres de l'avenue.

      La route de la frontière est une longue ligne droite de plusieurs kilomètres bordée de bamians et empruntée par de nombreux rickshaws, vélos et piétons. Assis derrière un tricycle, défile dans ma tête tout ce qui m'a profondément marqué ces derniers jours et je ressens une grande amertume. J'ai le réel sentiment de laisser derrière moi un pays immensément grand que j'ai à peine découvert.

      A la douane, mon taxi me dépose aux pieds de la grande toile blanche où défilent devant un bureau quelques pakistanais rentrants au pays. Je me joins à la queue. A mon tour, le sikh qui vérifie les passeports appose d'un coup sec un cachet daté du 14 novembre 1968. Ma tête m'en raisonne. Puis, tel un funambule, je rejoins le poste Pakistanais en marchant au milieu de la chaussée. J'approche de la barrière. Je sens mes yeux s'humidifier et je suis obligé de retenir une larme. Sans me retourner, je jure en silence qu'un jour je reviendrai.

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