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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 09:10
                                                                            Demavend


- 17 A O U T 1968:

          Il est grandement temps de reprendre la Route. Fauchés comme les blés, nous prenons le chemin de la mer Caspienne. Les chaines de l'Elborz commencent dès la sortie de la ville déployants une guirlande de hauts sommets (Irène de Salomon 4933m, le volcan de Demavend 5671m, Le Kouh-e-Niza 5400m). Elles constituent un écran que les nuages, formés au-dessus de la mer Caspienne, ne peuvent franchir. La montagne subit fréquemment de fortes pluies sur le versant nord, tandis que la face méridionale, à l'aspect généralement aride, bénéficie uniquement de l'eau de la fonte des neiges au printemps. Le contraste est très saisissant. D'un côté, ce sont les épaisses forêts verdoyantes, de l'autre de rares oasis. Les cols sont difficiles à franchir (2500m ), mais la route est de bonne qualité.
            Dans l'après-midi, nous parvenons dans une belle vallée étroite et verdoyante prise en étau entre deux montagnes. Eddo ressent une grande fatigue. Le régime forcé des jours précédents y est pour quelque chose. Une forte fièvre nous oblige à interrompre le stop. Secoué, ne tenant plus sur ses jambes, nous trouvons refuge sur le toit plat d'une maison de cantonnier flanquée contre la roche. Eddo s'allonge pendant de longues heures. Assis à ses côtés, veillant sur lui, je démoralise. Ma santé ne va guère mieux. Je sens que nous allons crever tous les deux ici. De l'autre côté de la route, je distingue au travers les arbres des maisons de constructions récentes. Tout près, des cris d'enfants montent d'un petit torrent. Au bout d'un moment, notre présence attire l'attention. Une fillette de dix ans et un garçon de trois années son cadet nous rejoignent sur le toit. Ils parlent un français sans accent, ce qui est étonnant. Seuls leurs visages typés diffèrent du notre. La fille nous demande ce qui se passe. Je lui explique qu'Eddo est malade comme un chien et que nous avons faim. Les deux enfants, comprenant la situation, s'en vont quérir de quoi grignoter un peu. Ils viendront plusieurs fois dans la soirée, nous appelant désormais par notre prénom. La gamine a le don de nous raconter de belles histoires, sa présence nous réconforte. Le bivouac pour la nuit est établi sur le toit. Au petit matin Eddo va mieux. La fièvre est tombée, mais il est toujours aussi fragile. Durant la journée, on s'aventure doucement près des maisons. La fillette nous a précisé la veille qu'il s'agissait d'un village de vacances. Un groupe de jeunes d'une vingtaine d'années nous accueille aimablement à l'ombre d'une végétation luxuriante. S'exprimant en excellant français, nous discutons voyages devant un verre. L'un d'entre eux nous apporte de quoi se nourrir. Ce sont des galettes séchées à la consistance douteuse. Eddo refuse poliment en référence à son état. J'accepte par courtoisie, mais ces gâteaux ressemblent étrangement à du crottin de cheval aplati et séché. Je ne sais pas si c'est du lard ou du cochon, est-ce qu'on se moque de nous! Au premier coup de dents je manque de dégueuler, mais je fais semblant d'apprécier car on me regarde. J'en frissonne encore. Une chanson diffusée par haut parleur me rappelle soudain mon pays. C'est une chanson bien connue de Nino Ferrer "z'avez pas vu Mirza ". Quelqu'un m'offre une paire de chaussures vernis mais elles sont trop petites. Une toute petite entreprise d'embouteillage d'eau minérale est installée au milieu des quelques maisons du village. Les jeunes prennent plaisir à nous la faire visiter.      
                  Après une seconde nuit sur notre plate-forme de béton, il est tant de reprendre notre chemin. Une carcasse d'âne gît au fond d'un ravin. Notre chauffeur nous apprend que les pumas ne sont pas rares dans cette région. Un frisson me parcourt le dos, nous avons couché dehors deux jours de suite sans présumer du danger. La descente sur Amol est magnifique. Rapidement, la vallée s'élargit laissant découvrir des orangeraies. Les provinces Caspiennes sont le Mazanderân et le Gorgan à l'est. Elles sont constituées par une étroite plaine littorale formée par les alluvions arrachées sur le flanc de l'Elborz par de nombreux torrents qui dévalent ses pentes. La plaine atteint vingt-cinq kilomètres dans sa plus grande largeur au Mazanderân dans la région de Babôl. Parfois, la montagne pousse ses contreforts jusque dans la mer. Abondamment arrosées, elles sont très verdoyantes. Les plantations sont le riz, le thé, le tabac, le coton, se pressant entre la mer et la montagne couverte d'épaisses forêts. Cette région est l'une des plus riches d'Iran et une des plus peuplées. Les grandes villes sont rares. Les paysans habitent près de leurs champs ou de leurs rizières, se groupant pour former de petits hameaux aux maisons à toit de bardeaux ou de chaume très différentes de celles du plateau Iranien. Après Amol, la route est en terre battue. Nous traversons le Harôz roud et arrivons à Babôl (70000 h). D'ici, une route mène à Babôl Sar, ville agréablement située au bord de la Caspienne à l'embouchure du Babôl roud. C'est une station estivale où les Iraniens viennent volontiers passer les fêtes de fin d'année (21 mars).           La Caspienne est une mer fermée à trente mètres au-dessous du niveau de la mer libre. Alimentée par la volga, elle est malgré tout en cours d'évaporation. Le long du littoral, se succèdent de nombreuses petites usines de caviar. L'esturgeon remonte la Volga mais pond ses oeufs sur la côte Iranienne. Très menacé, il est en effet sensible à la pollution qui sévit sur la rive soviétique fortement industrialisée.
         Après Babôl, la route de Gorgan tracée en plaine longe la frontière russe et la voie ferrée transiranienne. Sari est laissée derrière nous. C'est la région la plus fertile du Mazanderân. Puis c'est Bandar-e-Gaz. A la sortie, j'aperçois furtivement la mer que j'aurai le regret de ne pas avoir vu de plus près. La végétation est de plus en plus dense à l'approche de Gorgan. La ville est située à 116 mêtres d'altitude au pied d'une chaïne boisée en lisière d'une steppe désertique. A l'entrée, au milieu d'un large rond
point, se dresse la statue équestre du Shah Réza comme il en existe dans la plupart des villes d'Iran. Nous rencontrons là un jeune homme qui parle le français. C'est l'occasion de lui demander de nous indiquer un endroit pour dormir. Il nous renvoie alors à l'agent de ville qui orchestre la circulation. Avant de nous quitter, il nous conseille de faire ainsi à chaque fois que nous aurons besoin d'aide. Je reste perplexe mais nous allons tenter le coup, on ne sait jamais. A notre étonnement, l'homme à l'uniforme d'aviateur plus que policier est d'accord pour nous rendre ce service. Nous le suivons jusqu'à la porte d'une auberge. Avant d'entrer, je lui explique de nouveau que nous sommes démunis d'argent et que nous désirons simplement dormir en toute sécurité. Qu'à cela n'tienne, semble-t-il nous dire en poussant la porte. A l'intérieur, deux violoneux et un accordéoniste jouent des airs traditionnels russo-arabes. C'est fabuleux, l'ambiance nous ennivre. Nous sommes comme transportés au fin fond de la Russie. Prévenu par notre agent de ville, l'hôtelier nous invite à prendre place à la table d'un groupe de jeunes. Un repas nous est offert et la soirée se prolonge tard. Au moment de fermer l'établissement, l'aubergiste a l'amabilité de nous offrir le coucher en nous proposant deux lits de corde. Quant aux jeunes, ils nous donnent rendez-vous au lendemain matin.

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