Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:30


               Je suis debout pour le lever du jour. C'est l'instant le plus opportun pour observer la vie sur les ghâts. Bénarès est située sur la rive ouest, l'autre rive est maudite et déserte. Accroupi sur les talons, un aveugle attend immobile le lever du soleil. A quelques mètres, coule le Gange. Il ne le voit pas mais sent un grand vide plat se déplacé devant lui. Au petit jour, des hommes et des femmes apportent des fleurs tenues dans la paume de leurs mains. Ils posent délicatement sur l'eau ces fragiles radeaux colorés qui s'en vont tourbillonnants dans le courant. Des mains habiles assemblent des feuilles en minuscules coques, les remplissant de pétales chatoyants, y allument de minuscules bougies et laissent le frêle esquif s'en aller vers la mer.

Au bord de la Dashâshvannedh se constituent déjà des files de faux mendiants. Ils forment une sorte de corporation active dans la ville. Il faut avouer que leurs conceptions sont particulières et quelques fois horrifiantes. En tant que membres d'une corporation, ils obéissent aux directives de leurs dirigeants. Ils apprennent toutes les ruses et tous les stratagèmes qui doivent venir à bout de ceux qu'ils sollicitent et sont conditionnés pour cela. C'est là que se manifeste l'horreur. Certains d'entre eux ont été mutilés dès l'enfance afin de provoquer la pitié. Les uns ont une main tranchée, d'autres se traînent sur le sol, déhanchés, incapables de se redresser, prétextant soit un accident soit une polio.

Aujourd'hui, j'ai fait l'acquisition d'une paire de sandales de bois que portent les sadhus. Seule une cheville entre les doigts de pieds maintient par contraction la semelle. Je dois dire que le confort est plus que précaire et que l'usage demande une réelle habilitée, la semelle devant suivre la position de la plante du pied dans les virages.

C'est aussi le jour d'une grande fête religieuse hindouisme. La rue qui mène au ghât de Dashâshvannedh est bondée de monde en habits très colorés. Une longue colonne d'éléphants déambule aux sons de  sitars, de tambourins et de clochettes. Les énormes pachydermes sont peints et décorés de fleurs pour la circonstance. Ils promènent sur leur dos les respectables Maharadjahs, donateurs financiers de cette procession. Vêtus de vêtements de lumière et éventés à l'aide de longues feuilles de palmes, ils paradent devant la foule.

 

              L'hindouisme rend hommage à une divinité, soit dans les temples, soit à la maison ou bien comme ici au bord du Gange. Des offrandes d'eau, de lait, de fleurs, de lumière (en brûlant du camphre), de graines ou de gâteaux, d'encens ou de parfum sont présentés aux dieux vénérés. Brahmâ en est un, c'est le dieu créateur du monde,Vishnu est le garant de la paix et recours à la paix spirituelle. On lui a dévolu tout un cortège d'incarnations dans des formes archaïques animales. De très nombreux temples lui ont été érigés dans toute l'Inde. Quant à Shiva, il est le dieu dynamique à quatre bras, violant, destructeur et fougueux. En ville, des temples monumentaux se dressent à leurs effigies dominant la campagne de leurs masses effilées. Au coucher du soleil, la pierre du temple vire à l'ocre jaune, découpant les vestibules, encorbellements où dieux et déesses sont sculptés en très hauts reliefs, témoignant de l'âge d'or de la sculpture indienne.


Bénarès est aussi une ville universitaire, artisanale et commerciale. Sa célébrité tient également à la production de somptueux tissus de soie brodés d'or. Ils ont peu à peu été remplacés par des étoffes modernes moins luxueuses et moins onéreuses destinées aux rites quotidiens, par exemple les vases pour ablutions, les cymbales que l'on fait raisonner dans les temples lors des services religieux.

Dans les avenues ou sur les places, des petits marchands vendent des poudres colorées. Elles sont utilisées pour tracer sur le visage et sur le corps les signes symboliques relatifs aux différents cultes, plus particulièrement à celui de Shiva qui prédomine à Bénarès. Je suis tenté par un éventail de petites fioles de vingt couleurs différentes. J'en profite également pour acheter une dizaine de mouches symboles que les hindous collent sur leur front. Ils proposent également des parfums et des guirlandes de fleurs à profusion pour orner les cadavres qui sont portés vers les ghâts funéraires.


La crémation est une chose que je connais peu. Je me sens attiré par cette cérémonie qui s'effectue sur les ghâts funéraires. Assis sur un mur surplombant la plate-forme de l'office, j'assiste pudiquement à un cérémonial.

Un petit cortège, précédé de deux ou trois musiciens, marche à vive allure. Tout de blanc vêtu (couleur de deuil), deux porteurs tiennent à hauteur de leurs épaules une civière. Ils transportent le mort retenu sur celle-ci par des cordelettes végétales et recouvert d'un linceul blanc. Ce cadavre est celui d'un individu décédé quelques heures auparavant et qui va être incinéré dès que son bûcher funéraire sera prêt à le recevoir. En attendant, il est déposé sur les berges du fleuve auprès d'autres civières qui attendent leur tour. Quelques vaches que nul ne chasse, s'approchent et broutent les liens végétals. C'est signe de bon augure.


Bénarès est le lieu où tout croyant hindou a, durant toute son existence, fait le voeu de venir mourir et de se faire incinérer dans le but d'avoir une bonne réincarnation dans sa prochaine vie. A la condition, naturellement, d'avoir eu un parcours honorable durant celle qu'il vient de quitter ou de s'être amendé de telle sorte qu'il peut espérer pour sa prochaine renaissance ne pas régresser dans l'échelle des castes ou seulement dans celle de la condition humaine. Ainsi, l'industrie funéraire est à Bénarès une des plus active et lucrative de la ville.

Les "croque-morts" sont en permanence en contacts avec les cadavres réputés impurs tant que leurs cendres ne seront pas purifiées dans l'eau sacrée du fleuve. Mais, contrairement à bien d'autres basses castes, celle-ci n'est pas toujours pauvre en raison de la régularité des services qu'elle assure. Les crémations se succèdent à une cadence accélérée, de jour comme de nuit. Pour la famille du mort, elles entraînent le plus souvent des frais considérables qui la fait s'endetter irrémédiablement. Les charges de bois pour chaque bûcher coûtent très cher. Sélectionné en raison de son usage rituel, il a fallu abattre l'arbre, le débiter et le stocker car il doit se consommer sans accroc et ne pas manquer jusqu'au dernier instant.

La cérémonie est très simple et se déroule selon un rythme calme et digne. Seuls y prennent part les desservants des ghâts qui empilent les troncs d'arbres et regarnissent le foyer à mesure qu'il flambe. Un seul acteur opère selon les rites. C'est l'héritier mâle le plus proche du défunt, généralement son fils aîné, qui devient le chef de la famille dès le décès de son père. C'est lui aussi qui préside à la crémation de la mère. Son rôle consiste à embraser le bûcher. Il utilise une longue torche qu'il présente à certains points qui s'enflamment facilement. Se faisant, il tourne lentement par cinq fois autour de ces piles de bois en la tenant de la main gauche (réservée aux funérailles). Le cadavre est disposé visage découvert et tout entouré de guirlandes de fleurs sur la plate-forme supérieure du bûcher. Assez rapidement, les flammes l'atteignent, activées par des aspersions d'essences parfumées. Les desservants contrôlent habilement la force du feu.


Un brahmane prêtre et l'héritier se tiennent à proximité du brasier. A la tombée de la nuit, le squelette rougeoie petit à petit. C'est un instant très impressionnant dans ce décor dépouillé de tout apparat. Les assistants vêtus de blanc murmurent des textes sacrés. Le desservant retourne avec une longue perche les morceaux de chair noircie jusqu'à ce que le mort devienne tas de cendres. Au pied de cette scène silencieuse où l'on n'entend que les crépitements du feu, le Gange coule inlassablement et reflète les lueurs dorées du brasier. Soudain, au milieu d'une forte odeur, s'élèvent des psalmodies, des coups de gongs, de cloches frappées. Plus tard, quand les cendres seront refroidies, le célébrant reviendra les recueillir dans un grand pot de cuivre ou de terre. Il en recouvrira l'orifice d'une guirlande de fleurs et s'avancera dans le fleuve pour les disperser dans l'eau sacrée, entraînée doucement par le courant. Pour un nouveau né ou une vache sacrée, le cadavre sera jeté directement dans le Gange.


Partager cet article
Repost0

commentaires